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dimanche 1 décembre 2013

Strange Cargo - Frank Borzage - 1940


Au bagne en Guyane, Verne accumule les évasions. A chaque fois repris il purge sa peine mais s'échappe à la moindre occasion. Chargé de décharger des marchandises au port, il repère une jeune femme, Julie. Celle-ci ne souhaite pas être vue parlant à un condamné et Verne lui promet de la retrouver le soir même au bar où elle travaille. Au retour sous les verrous il est sans le savoir remplacé par un mystérieux inconnu, Cambreau, qui prend sa place tandis qu'il rejoint la jeune femme. Surpris par la police, Verne est ramené au pénitencier où il apprend que Moll monte une évasion avec Hessler et Telez, respectivement un condamné pour avoir empoisonné ses femmes et un homme persuadé qu'il rejoindra le paradis grâce à la bible qu'il lit. Cambreau paie les passages de Verne et de lui-même, mais Moll assomme Verne pour l'empêcher de les suivre. Lui seul détient une carte qui pourra leur permettre de rejoindre la mer où un bateau chargé de vivre les attendra. Une deuxième carte est dans les mains de son second qui mènera un deuxième groupe. A son réveil Verne trouve par hasard une carte griffonnée par Cambreau l'incitant à les rejoindre et Verne s'évade aussitôt ...


Voilà un film qui sort des sentiers battus. Pourtant le thème est connu, il s'agit de l'histoire de quelques hommes qui finissent par voir la lumière malgré un passé trouble et terrible.
Borzage s'y prend différemment pour conter son histoire : Il met en présence des hommes et une femme perdus à qui un homme révèlera à chacun sa part céleste. Son identité reste cachée, on peut y voir ce que notre religion, notre éducation ou nos convictions nous font voir : un passeur, un éclairé, un ange, le destin ou même le Christ comme semble le penser le pêcheur interprété par Victor Varconi.

La plupart des réalisateurs auraient pris la peine de faire comprendre aux spectateurs l'identité réelle
de Cambreau. Pas Borzage, ce qui donne une dimension particulière à ce film qui mêle allégrement paraboles, miracles, clairvoyance et sensualité. Il nous fait passer du pénitencier à la mer en passant par la jungle et le désert. Les "pélerins" devront éviter le village des indigènes, la mine, braver les dangers (serpent, flèches, eau salée, sables mouvants), souffrir de faim et de soif avant d'atteindre la mer où leurs soucis seront loin d'être terminés car ils leur faudra encore effectuer la traversée.
Leurs pires ennemis ne sont qu'eux-mêmes, car tous se méfient et tentent de se débarrasser les uns les autres ou bien de se voler leurs maigres possessions.
Le scénario met en scène des personnages tout droit sortis de la Bible, la fille facile, le voleur, le meurtrier, le pêcheur, le croyant, et même le mal en la personne de Pig incarné par le très inquiétant Peter Lorre qui reste très ambigu et dont les intentions ne sont pas nettes du tout. 

Le film est truffé de belles images et de nombreux symboles sont parlants. On peut ne pas aimer cette façon sans équivoque de nous rappeler cette part d'humanité ou de Dieu qui nous habite tous. On peut ne pas apprécier cette manière de nous balancer des bouts de textes bibliques lus de manière presque moqueuse par Verne mais qui tirent des larmes à Julie. Pourtant l'histoire est bien simple, ou vous y croyez ou bien vous n'y croyez pas dans le fond ! Il faut avouer que ce genre de film détonne fortement dans le monde actuel.

Il y a certainement plusieurs niveaux à ce film, si l'on s'en tient aux images et non au message on a sous les yeux une aventure assez quelconque. Si on s'intéresse au message on a sous les yeux un film fort comme devait l'être Borzage. Peut-être d'ailleurs n'est-ce pas un hasard si Cambreau alias Ian Hunter lui ressemble physiquement un peu ? Borzage devait être un homme aux convictions et à la foi très fortes, cela est perceptible tout au long du film.

Les hommes qui se sont fourvoyés se trompent eux-mêmes. Leurs craintes sont les barrières qu'ils ont dressées et ils vivent dans une sorte de monde parallèle alors que la confiance apporte la clairvoyance. La fin est prévisible, on sait que Verne va croire que Julie l'a trahi une fois de plus avec Pig, comment pourrait-il en être autrement pour un homme qui ne vit que pour lui même et qui s'est construit selon ses propres critères et qui prend simplement ce qu'il veut sans se soucier des autres ?
On imagine qu'il va se perdre alors que sous ses yeux, accroché tel un Christ sur sa croix Cambreau se noie dans une mer démontée. Le moment où Verne comprend enfin ce que Cambreau lui révèle est osé mais, magie du cinéma, en une fraction de seconde le visage de Clark Gable redevient lisse et humain alors que jusque là il était dur. Avec Borzage on sait que l'histoire se terminera bien, tant mieux, c'est rassurant ! Et si l'on ne sort pas tout à fait indemnes de ce film qui parle de rédemption, d'amour et de confiance, son but est atteint !

Un film qui joue avec la lumière dans un beau noir et blanc, avec des plans originaux comme celui qui voit Joan Crawford sur le dos, son visage démaquillé regardant le ciel tel un paysage à l'horizon alors que Cambreau, serein, veille à la barre.

Une fois de plus le titre français est loin du sens premier du titre anglais et on trouve ce film dans le coffret intitulé Joan Crawford Collection 2

Deux citations qui illustrent bien le propos :

"La bonté est la meilleure source de clairvoyance spirituelle."
Miguel de Unamuno
"La clairvoyance est le seul vice qui rende libre, libre dans un désert."
Emil Michel Cioran


D'après le roman de Richard Sale "Not Too Narrow... Not Too Deep", scénario écrit par Lawrence Hazard et adapté par Anita Loos.

Titre français : Le cargo maudit

Joan Crawford ...
Julie
Clark Gable ...
Verne
Ian Hunter ...
Cambreau
Peter Lorre ...
M'sieu Pig
Paul Lukas ...
Hessler
Albert Dekker ...
Moll
J. Edward Bromberg ...
Flaubert
Eduardo Ciannelli ...
Telez
John Arledge ...
Dufond
Frederick Worlock ...
Grideau (as Frederic Worlock)
Bernard Nedell ...
Marfeu
Victor Varconi ...
Fisherman



Tiens, en passant, ce film illustre bien ce premier dimanche de l'Avent 2013 !

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